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Cimetières : les pesticides presque enterrés

Dans un peu plus d’un an, l’usage des produits phytopharmaceutiques dans les espaces verts sera interdit en Wallonie. Concernant les cimetières, les communes sont sur la bonne voie. Cent vingt-six labels « cimetières nature » ont déjà été octroyés en trois ans.

Parce que les cimetières sont des lieux très sensibles, où l’on vient pour se recueillir et remplir son devoir de mémoire, les familles sont particulièrement attentives à leur propreté et leur état d’entretien. Or, depuis le 1er janvier 2014, les cimetières, comme tous les espaces verts en Wallonie, sont soumis à une nouvelle législation qui impose à leurs gestionnaires de réduire progressivement mais drastiquement l’épandage de produits phytopharmaceutiques (PPP) avec l’objectif d’atteindre le « zéro phyto » au 1er juin 2019.

Si certaines communes wallonnes n’ont pas attendu cette nouvelle législation pour entamer cette reconversion – Liège, par exemple, n’utilise plus de pesticides depuis 2007 –, la période de transition de cinq années a donné le temps aux autres de mettre progressivement en œuvre des méthodes de désherbage douces ou d’opter, dans les cimetières principalement, pour l’engazonnement des allées et pour d’autres mesures de gestion favorisant la biodiversité, comme l’aménagement de prairies fleuries, la plantation d’arbres ou encore la construction de nichoirs à oiseaux et d’hôtels à insectes.

Une asbl pour encadrer les communes

Autant de changements dans la gestion quotidienne des espaces verts ne sont cependant pas toujours faciles à appréhender et de nombreux responsables communaux se sont interrogés, par exemple, sur les sortes de plantes à privilégier pour éviter une surcharge de travail au niveau de l’entretien. Car toutes les espèces ne conviennent pas et il est très facile de se… planter (voir plus loin). C’est pourquoi, dès 2015, la Région wallonne a décidé de subventionner une asbl, en l’occurrence Ecowal, afin qu’elle mette ses compétences en matière d’aménagements favorables à la biodiversité et à la préservation des abeilles au service des communes. Une assistance gratuite qu’elle effectue à la demande des édiles ou des services techniques.

« Nous conseillons d’ensemencer les allées avec des graminées à faible croissance et résistantes au piétinement et de les embellir en y plantant des fleurs à tiges courtes comme des pâquerettes, du trèfle blanc, de la brunelle ou encore du thym sauvage », explique Pascal Colomb, le responsable d’Ecowal. « Nous prônons également les prairies fleuries, qui ne nécessitent que deux fauchages par an, mais uniquement dans les zones d’extension des cimetières. Entre les tombes, si les espaces sont vraiment réduits, nous conseillons soit d’installer des tapis de sedum précultivés à découper, soit des plantes couvre-sols comme des géraniums ou des petites campanules. Enfin, nous proposons d’ajouter de la verticalité à l’ensemble en plantant des arbres – hêtres ou ifs – le long du périmètre des cimetières. Si l’on veut le faire près des tombes, il faut les planter dans des cuves sans fond de façon à ce que les racines ne soulèvent pas les sépultures voisines. »

La gestion des mauvaises herbes

« Les allées en gravier couvrant environ un quart de la superficie des cimetières, la plus grosse difficulté que rencontrent les communes c’est la gestion des mauvaises herbes », souligne Nicolas Servais, chargé par Ecowal de faire les tours des cimetières de la Région wallonne. « Nous proposons un ensemencent accompagné d’un fleurissement, mais si les responsables préfèrent procéder au désherbage, nous les guidons vers le pôle wallon de gestion différenciée, une autre asbl qui leur expliquera les différentes techniques respectueuses de l’environnement. Chacun est libre de son choix, mais la végétalisation nécessite des entretiens beaucoup plus légers et traîner des bonbonnes de gaz dans les cimetières n’est pas une solution beaucoup plus écologique que l’épandage des produits phytos. »

En tant que conseiller en environnement et responsable du service espaces verts à Chastre, en Brabant wallon, Nicolas Servais a initié, dans sa commune, un plan de gestion des cimetières qui a pour vocation de répondre aux divers enjeux les concernant : gestion administrative des espaces, environnement, communication, etc. « Le premier en Wallonie qui intègre tous ces aspects à la fois », annonce l’expert.

Deux exemples de bonne gestion : Namur et Tenneville

Des exemples de bonne gestion environnementale ? Avec ses trente cimetières éparpillés sur vingt-cinq hectares, la Ville de Namur fait figure de bon élève puisque douze d’entre eux ont déjà été labellisés « cimetière nature » (voir encadré). Vu le nombre d’allées, l’entreprise n’était pourtant pas de la petite bière. « Nous avons commencé en 2014 par des essais d’enherbement dans deux petits cimetières, ceux de Marche-les-Dames et de Gelbressée », explique Muriel Guyot, l’éco-conseillère de la commune. « Nous avons retiré une couche de graviers et nous avons ensemencé la terre avec un mélange de pelouse fleurie pour lequel nous bénéficions de subventions dans le cadre du plan Maya. Nous avons ensuite répété ces opérations dans d’autres cimetières, mais nous avons cependant dû changer de méthode l’an dernier car les mélanges de pelouse fleurie s’avéraient trop onéreux compte tenu de la quantité nécessaire. Nous utilisons dorénavant un mélange de graminées à faible croissance qui a notamment servi à ensemencer notre grand cimetière de Namur qui couvre 8,80 hectares. Les autres suivront chacun à leur tour, mais notre rythme de travail est lié à l’état de nos finances. »

Quant aux autres mesures préconisées, l’éco-conseillère avoue que la configuration des cimetières namurois ne s’y prête pas facilement. « Nous avons effectué quelques plantations fleuries dans les zones d’attente à Bouge et à Belgrade, et nous attendons que se précisent les projets d’aménagement de plusieurs cimetières (aire de dispersion, columbarium…) pour voir s’il sera possible d’y planter quelques arbres. Quoi qu’il en soit, l’objectif principal est déjà atteint puisque, depuis septembre 2016, nous n’utilisons plus aucun pesticide. »

Le label « cimetière nature »

Soucieuse de développer la biodiversité dans les activités humaines et de mettre en évidence les communes qui multiplient les efforts en ce sens, le Réseau Wallonie Nature a mis en place, depuis 2015, un label « cimetière nature ». Chaque année, un appel à candidatures est lancé à toutes les communes wallonnes et, chaque année, de nouveaux labels sont octroyés.

C’est ainsi que notre région compte aujourd’hui 126 « cimetières nature » répartis dans 58 communes, dont les pionnières dans la quête de ce label sont Lasne, Nivelles, Namur, Froidchapelle, Fléron, Enghien, Huy, Tenneville, Tintigny et Tournai.

Comment cela fonctionne-t-il ? Le label est évolutif et composé de trois niveaux. Le système est basé sur la philosophie des petits pas et imaginé selon un système souple comprenant à la fois des critères obligatoires par niveau et une série de critères à choisir en fonction des contraintes et du potentiel du cimetière labellisé. Le premier niveau de labellisation se veut « facilement » accessible et requiert essentiellement une motivation réelle concrétisée par quelques réalisations sur le terrain. Les niveaux 2 et 3 impliquent des réalisations progressivement plus conséquentes. Quant aux critères à satisfaire, ils sont multiples et concernent la végétalisation, la biodiversité, l’entretien et la gestion des végétaux, la lutte contre les plantes invasives, la planification et l’intégration du site dans le réseau écologique, la législation et les pesticides, l’eau, les déchets, les mobiliers, matériaux et travaux, la communication, la gestion du bruit, le recueillement et le patrimoine funéraire et la formation.Pour chacun de ces critères, des points bonus sont attribués. Un exemple : en matière de travaux, l’utilisation de matériaux naturels, locaux ou de récupération est récompensée par un point, tandis que le recours à une entreprise sociale en vaut trois. Sur les 126 cimetières labellisés, 18 le sont au niveau 3.

Les cimetières de Beauvechain : de l’enfer au paradis !

Le vert leur va si bien. A qui ? Aux huit cimetières de la petite commune de Beauvechain, en Brabant wallon. Ce sont en effet de véritables tapis verts qui emmènent les visiteurs d’une rangée de tombes à l’autre, un parcours agrémenté ci et là d’espaces fleuris qui donnent une jolie touche de couleurs à ce lieu de recueillement. Si deux de ces cimetières ont reçu le label de niveau trois, les autres ne perdent rien pour attendre car ils sont dans le même état et le méritent tout autant. Pourtant, comme l’explique Vincent Bulteau, le conseiller en environnement de la commune, les responsables en ont vu de toutes les couleurs avant d’arriver à ce résultat et à cette reconnaissance.

« En 2014, quand nous avons décidé de laisser au placard les bidons de pesticide et d’herbicide afin de mettre en place des solutions alternatives pour l’entretien de nos cimetières, nous n’avions aucune expérience. C’est ainsi que nous avons notamment décidé de créer des espaces fleuris en semant des graines de marguerites autour des tombes. Un bon choix pour les insectes, mais une erreur au point de vue esthétique car ce sont des plantes à longues tiges vertes qui ne restent pas longtemps en fleurs. Nous avons donc reçu une volée de bois vert de la part des visiteurs qui nous ont accusé de négliger l’entretien de leurs cimetières. »

Conscients de cette erreur de casting, les gestionnaires ont changé leur fusil d’épaule. Ils ont remplacé la plupart des prés fleuris par des pelouses fleuries en ensemençant les allées sans enlever les graviers afin de conserver une base ferme. « Sur cette pelouse, nous avons opté pour des fleurs à croissance lente, comme du trèfle, des pâquerettes, du lotier, de la bugle rampante et du lierre terrestre. Ces plantes sont moins mellifères qu’un champ de marguerites, mais leur période de floraison est beaucoup plus longue. Et nous avons fait de même autour des tombes… »

Un abri pour la chauve-souris

Les responsables n’en sont pas restés là. Suivant à la lettre les recommandations de la Région wallonne en matière de biodiversité, ils ont construit des nichoirs et des hôtels à insectes, ainsi qu’un refuge pour hérissons. Le tout avec des matériaux de récupération, comme du bois venant de palettes ou des morceaux de tuyaux d’égouttage. « Nous avons également aménagé en abri hivernal pour les chauve-souris le souterrain qui relie l’église de Tourinnes-la-Grosse à la cure, sourit Vincent Bulteau. Ce passage sous la route servait de cachette pendant la Seconde Guerre mondiale. Son entrée, dans le cimetière, est désormais protégée par une porte dans laquelle nous avons découpé la silhouette du petit mammifère. De cette façon, les visiteurs connaissent l’usage que nous avons fait de ce souterrain et le respectent. »

Après la tempête récoltée pour avoir semé des plantes inadéquates, le calme est aujourd’hui revenu dans les verts cimetières de Beauvechain. « Ce sont devenus des endroits plus gais, des espaces de quiétude où les habitants aiment se promener. Leurs sentiments sontdésormais en adéquation avec l’environnement. »