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Les morts s’adressent aux vivants

Laisser un message écrit ou visuel à ses proches après le grand départ est une idée qui fait son chemin. En une quinzaine d’années, la technologie a permis à de nombreuses messageries virtuelles de voir le jour. Chacune avec sa spécificité.

Le précurseur de ces services permettant de laisser à ses proches un héritage ou un patrimoine numérique sous forme de messages ou d’informations importantes semble être « Apreslamort.net ». C’est en 2003, en effet, que Paul Leal Alves eut l’idée de créer un site de legs numérique par l’intermédiaire duquel chacun pourrait expliquer ce qu’il n’a jamais osé ou pu dire de son vivant. « L’idée était de sauvegarder un testament moral, de pouvoir tenir un journal intime ou de prévoir la divulgation d’informations importantes », précise le webmaster qui ajoute que si chacun est libre du contenu de ses messages, il ne convient pas pour des testaments ou d’autres documents qui ne pourraient avoir de valeur officielle.

Si le site est gratuit et accessible à tout le monde, il faut, bien sûr, que les destinataires des messages aient un e-mail. Quant à l’utilisateur, il est tenu de s’y connecter selon une fréquence de pointage prédéfinie, ce pointage étant le seul moyen de vérifier qu’il est toujours en vie. S’il ne pointe pas selon la fréquence choisie, le service considérera qu’il est décédé et les messages seront envoyés au(x) destinataire(s) programmés(s).

Le site français, qui compte actuellement 827 membres, est hébergé sur un serveur qui lui est dédié et est complètement automatisé, ce qui signifie qu’il ne nécessite pas que le webmaster soit vivant pour fonctionner correctement. Les messages et mots de passe sont cryptés dans une base de données et la confidentialité de l’utilisateur est totalement respectée.

Lifewishes, le coffret à émotions virtuel

De nombreux services similaires ont fleuri ces dernières années sur le web. A chacun sa spécificité. Ainsi, sur DeadSocial, les utilisateurs peuvent télécharger des photos, vidéos et enregistrements audios afin de planifier gratuitement l’envoi de messages sur Facebook, Twitter, LinkedIn ou sur le site même du service, jusqu’à… 999 ans après leur décès. Quant à SafeBeyond, lancé en 2015, il mise plutôt sur le soutien psychologique et la transmission d’informations clés. Le service compte des dizaines de milliers d’utilisateurs, la plupart entre 20 et 50 ans, qui lèguent des mots de passe et documents sur leur vie, voire des messages incitant, par exemple, un proche à refaire sa vie.

Plus près de nous, Géraldine de Radiguès, forte de son expérience comme bénévole en soins palliatifs, a lancé, en septembre 2018, la plate-forme en ligne Lifewishes qui permet de véhiculer les messages posthumes du défunt (ses souhaits concernant ses obsèques, ses expériences, sa philosophie…) et des documents télévisuels (films, sons, images…) à l’attention des proches et/ou de personnes ciblées qui auront accès aux téléchargements, de manière individuelle et personnalisée ou commune. « J’aimerais que cette plate-forme soit référencée sur les sites des soins palliatifs et quelle soit considérée comme un outil de prise en charge émotionnelle des seniors », confie la fondatrice de Lifewishes.

L’accès à ce service coûte 74 euros, somme à laquelle il convient d’ajouter 6 euros par an pour la conservation des données stockées.

Timessage, le service à visage humain

La technologie évoluant de façon exponentielle, on pourrait penser que chaque nouveau service serait au diapason et s’appuierait de plus en plus solidement sur l’intelligence artificielle. Que nenni ! A Yvoir, Thomas Michel, un policier fédéral, a choisi de se démarquer de ces systèmes et de revenir au bon vieux courrier postal. « L’adresse postale étant plus stable que l’adresse mail, Timessage livrera les messages souhaités au domicile même des proches ou des amis des victimes », explique ce policier qui travaille au Service d’Identification des Victimes (Disaster Victim Identification) et qui a été fort secoué lors de l’attentat du métro de Maelbeek en 2016 : « Lorsque j’ai vu toutes ces personnes qui sont sûrement parties le matin en disant à leurs enfants "Je viendrai vous chercher à l’école" et qui ne sont jamais revenues, je me suis dit qu’il fallait trouver un système pour pouvoir laisser un message à ses enfants afin qu’ils puissent faire leur deuil plus sereinement. Le but premier de Timessage est de permettre à chacun d’envoyer ses dernières pensées, des mots d’amour et de soutien, à ses descendants ou à ses proches. »

Sans connexion avec le Net

Le fonctionnement de ce système se veut-il plus humain que les plates-formes en ligne et moins institutionnel que le recours au notaire ? « A la personne intéressée qui a pris contact avec moi, je fais parvenir un questionnaire lui permettant, notamment, de désigner la personne relais qui sera chargée de me signaler sa disparition. Mon client est alors libre de me confier un document écrit, un enregistrement audio, une vidéo ou même un objet qu’elle désirerait que je transmettre à la personne de son choix après son décès. De mon côté, je signe une clause de confidentialité et je m’engage à proposer un service sécurisé garantissant que leur message ne sera jamais divulgué sur internet ou ailleurs. Pour plus de sécurité, ces messages seront placés dans un local ignifuge ou sur un disque externe, donc sans connexion avec le réseau. Quant aux objets, ils seront stockés dans une consigne ou cachés par mon client qui m’expliquera où et comment les récupérer. »

Le service, que Thomas Michel facturera 25 euros par message – somme qui servira à couvrir la logistique et les frais de conservation –, pourrait être lancé très prochainement. « J’exercerai cette activité avec le statut d’indépendant à titre complémentaire, explique l’Yvoirien. J’ai déjà acheté un ordinateur et une imprimante, mon plan financier se précise, je n’attends plus que l’autorisation de principe émanant de ma hiérarchie... »

Et si l’entrepreneur décède avant ses clients ? « Ma succession est déjà assurée ! » répond tranquillement l’intéressé dont le succès devra forcément passer par la confiance de ses clients. Retour à l’humain.